Interview Haitham Karachay – La résidence au Ground Control
Bonjour Haitham, merci de répondre à nos questions. Parle-nous de ton parcours jusqu’à ton arrivée en France ? Quel était auparavant ton métier ?
Je suis arrivé en France en 2015. Je suis réfugié syrien et avant de venir, j’ai travaillé pendant longtemps dans le domaine de la communication, pour une chaine de télévision pour enfants. J’étais responsable des achats pour tout ce qui concerne le contenu. Je gérais notamment la question des droits pour le doublage des dessins animés pour le Moyen Orient, l’Afrique du nord, les pays arabes. J’ai travaillé là-bas pendant 15 ans puis j’ai dû quitter mon pays à cause de la guerre.
Tu es aujourd’hui Chef cuisinier, comment est né ce projet professionnel ?
Depuis mon arrivée en France, j’ai toujours poursuivi le rêve de mener à bien mon projet professionnel. Je ne savais pas exactement vers quoi me tourner mais la France a constitué une toute nouvelle page pour moi. J’ai gardé une petite part de mon boulot dans le conseil en communication en tant que freelance, ce qui me permet de choisir mon volume de travail. J’ai beaucoup réfléchi et je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup la cuisine syrienne, que j’avais envie de créer quelque chose autour de ça. Malheureusement, je n’avais aucune expérience, je n’avais jamais cuisiné ! J’avais juste la passion, l’envie de goûter des plats et cuisines du monde, d’expérimenter.
Je me suis mis à chercher des formations et j’ai pu intégrer « Cuisine Mode d’Emploi », une formation proposée par le Chef Thierry Marx. J’ai fait ma formation dans leur école du XXème. La formation a été géniale ! J’ai pu faire 8 semaines intensives de formation, avec 3 semaines de stage. J’ai fait mon stage dans un restaurant qui s’appelle « La Régalade Saint Honoré », juste à côté du Louvre. Après ce stage, j’ai été embauché là-bas et j’y ai travaillé pendant 1 an, ce qui m’a permis d’évoluer sur plusieurs postes (commis, gestion des entrées froides, puis chaudes etc.).
Tu aurais pu choisir de rester en emploi salarié. Pourquoi avoir suivi la voie de l’entrepreneuriat ?
Quand je travaillais dans ce restaurant, je savais qu’il s’agissait d’une étape. J’ai pu profiter de cette année pour apprendre les techniques dans cette capitale de la gastronomie. J’avais quand même toujours en tête cette envie de mélanger les recettes traditionnelles de mon enfance avec les techniques, les présentations à la française. Puis j’ai rencontré Marine et Louis, les fondateurs de Refugee Food Festival. J’ai ainsi pu participer deux fois au festival, en 2018 et cette année. Ils m’en ensuite proposé de devenir chef ici, à « La Résidence ». Le concept de la résidence est vraiment génial : on peut travailler pendant 6 mois pour vivre l’expérience de gérer un petit restaurant : contacter les fournisseurs chaque jour, travailler sur la carte, tester des recettes, gestion de la caisse, des équipes. Tout en profitant de leur soutien sur la communication et l’aspect back office.
Je suis donc là jusqu’en décembre et, comme les autres chefs qui sont passés ici avant moi, j’espère passer une nouvelle étape et monter mon projet professionnel.
Justement, Quel est ton projet professionnel ?
J’espère trouver un financement, un endroit pour lancer un projet solide. Je ne souhaite pas lancer un projet de trop grande taille tout de suite, qui comporte trop de risques. J’hésite toujours entre trois projets différents : soit un petit resto comme ici, la Résidence, intégré dans un espace avec d’autres restaurants. Je pense aussi à une activité de traiteur pour les entreprises ou, dernière option, j’ai toujours le rêve d’avoir un petit foodtruck. Je suis très ouvert : faire quelque chose moi-même, ou avec un associé ! Le concept est encore à trouver mais je sais qu’il mixera cuisine syrienne avec des touches françaises.
On connait peu la cuisine syrienne en France. Si tu devais recommander un plat syrien pour nous faire découvrir la cuisine de ce pays, que recommanderais-tu ?
Pour moi, c’est le « muhammara », qui veut dire « caviar de poivrons rôtis ». En France, tout le monde connait le caviar d’aubergines mais là, c’est une recette de la ville d’Alep, au Nord de la Syrie. Le poivron rouge est rôti dans le four, et devient comme une sorte de mousse… c’est tellement délicieux !
Tu as également fait partie de MEnt, le programme d’incubation de makesense pour les réfugiés entrepreneurs : qu’est-ce que cet accompagnement t’a apporté ?
Ce programme a été tellement efficace pour moi ! J’ai pu tester le concept de chef à domicile, incluant une expérience permettant l’interaction entre les cultures. Dans ce projet, je proposais une partie cuisine, avec un atelier d’écriture pour écrire son prénom en arabe, une découverte de la musique, la culture, l’actualité en Syrie. makesense m’a aidé à créer le prototype de mon projet et j’ai appris beaucoup, sur le business, sur comment réfléchir son projet, sur les clients ou encore les possibilités pour challenger son entreprise.
Si tu avais un conseil à donner à un réfugié qui souhaite devenir entrepreneur, quel serait ce conseil ?
Première chose : la langue ! Il faut améliorer son français sinon, tu ne comprendras pas comment fonctionne la société, le business… tout ! Surtout, je crois qu’il ne faut pas attendre pour apprendre la langue et profiter de la longue période avant d’obtenir ses papiers pour apprendre et pratiquer. Trouve des amis français, juste parle le plus possible !
Deuxième chose, il faut bien réfléchir à la voie que tu veux suivre : salariat ou entrepreneuriat. Et ce choix dépend de chaque personne, de chaque type de caractère, du besoin de stabilité.
Si tu choisis d’être entrepreneur, alors, je conseille de trouver une structure telle que makesense qui aide à monter ton projet.
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
Professionnellement, d’avoir pu lancer mon projet en 2020, avec un potentiel pour grandir.
Personnellement, je veux voyager, continuer à découvrir de nouvelles cultures, en France, en Europe ou dans le monde : je suis quelqu’un de curieux !
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